Retrouvez ci-dessous l’article paru dans Nuance n°58
Menant de front une carrière de flûtiste, d’enseignante et de coach pour musiciens, Cécile Robilliard affiche d’emblée la couleur lors de notre conversation en embrayant sans préambule sur le terrain du stress lorsqu’on lui pose la question du plaisir dans le travail. C’est dans son habit de coach qu’elle répond. Celui qu’elle porte lors de la journée sur le thème « Musicien : un athlète pas comme les autres », organisée par l’Institut romand de pédagogie musicale dans le cadre des Jeux olympiques de la Jeunesse 2020. Face à l’impossibilité d’entrer dans toute la finesse de détails de sa réflexion, tentons d’en résumer l’essentiel. Un mot d’abord revient comme un jalon : comprendre. Pas de maîtrise du stress – de « rééquilibrage » comme le dit Cécile Robilliard – sans appréhender d’abord ce qu’il signifie, à savoir une réaction psychologique et physiologique face à une situation, conditionnée par ses propres perceptions, elles-mêmes tributaires de son environnement familial et culturel. « Il ne peut y avoir de sens et donc de plaisir sans cet incontournable travail de ‹ nettoyage ›, de clarification, qui permet d’aligner nos capacités avec nos valeurs, notre identité, notre mission de vie – pourquoi la musique ? Bien sûr, pour atteindre ce plaisir, arriver à se libérer, c’est beaucoup de travail en amont, de rigueur, de persévérance. »
QUATRE PRINCIPAUX FACTEURS DE STRESS
Cécile Robilliard liste quatre causes de stress universellement reconnues et valables pour tous les individus : perte de contrôle, situation nouvelle, imprévisibilité, ego menacé. « Chacun est plus ou moins sensible à ces stresseurs absolus mais il est important de souligner qu’en fonction de nos perceptions et de nos représentations mentales ils peuvent se transformer en stresseurs relatifs. Cela demande du travail, de la pratique, et c’est justement ce que je mets en place dans mes ateliers. Dans le cas de la perte de contrôle, je travaille sur la préparation, l’imagerie mentale, les représentations, la visualisation de l’œuvre à jouer en amont, un peu comme un skieur avant de s’élancer du haut de la piste. À cela s’ajoute toute la recherche autour de la créativité : un musicien ne va pas jouer Strauss comme il joue Beethoven, il lui faut mettre en place des associations d’idées ou d’images, apporter de la matière dans laquelle il puisse se projeter, et donc en premier lieu savoir ce qu’il a envie de faire. Pour l’imprévisibilité, il n’est d’autre choix que d’apprendre à anticiper, mais pas trop non plus : savez-vous exactement ce que vous allez faire demain ? La crainte de la nouveauté se travaille en mettant en place des éléments très concrets, comme se renseigner sur la salle dans laquelle vous allez jouer. Enfin, l’ego menacé, c’est la pression terrible du regard des autres, que l’on combat en renforçant l’estime de soi. »
Le cadre, contrairement à ce que l’on pense a priori, c’est plus de liberté et donc plus de choix. On brandit souvent la menace d’une perte de spontanéité : bien au contraire !
Cécile Robilliard
SANS CADRE C’EST LE CHAOS
« Au final, poursuit Cécile Robilliard, ce que j’offre à ces musiciens, c’est une préparation, un cadre, car sans cadre c’est le chaos. Le cadre, contrairement à ce que l’on pense a priori, c’est plus de liberté et donc plus de choix. On brandit souvent la menace d’une perte de spontanéité : bien au contraire ! Le cadre et la multiplicité des choix qu’il sous-tend procure encore plus d’élan. Croire à cette menace, c’est risquer l’inhibition et ne plus avoir le choix de rien. »
MUSICIENS ET SPORTIFS : LEURS VALEURS COMMUNES
Cécile Robilliard termine en plaçant sportifs et musiciens face-à-face. « Les valeurs communes sont nombreuses : l’effort, la rigueur, la persévérance, le dépassement de soi, et déjà arriver à être soi – je n’aime pas le mot performance : on ne peut pas faire ce que l’on n’est pas. Chez les sportifs, ce dépassement peut aller jusqu’à se faire mal – et à aimer ça ! –, je ne pense pas que cela aille aussi loin chez les musiciens. Chez les sportifs comme chez les musiciens, il y a ce même impératif de répondre aux attentes de la société, cette envie commune de partage, même si le musicien travaille essentiellement seul et que lorsqu’il se retrouve avec d’autres il peut être pris par ce sentiment pernicieux de rivalité, qu’il s’agit de déconstruire. Contrairement au sportif chez qui la lutte est réelle, le musicien ne peut jouer contre l’autre mais avec lui-même : c’est donc un travail quotidien d’écoute intérieure afin d’harmoniser ses états internes physiques, émotion-nels et mentaux. Même au sein d’un orchestre il est ‹ seul › à jouer et perd son temps et son énergie – et donc son plaisir – à vouloir influer sur les autres. » [AS]
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